Depuis avril 2025, la filière oléicole tunisienne traverse une zone de turbulences, en particulier sur le marché américain, l’un de ses débouchés majeurs. L’entrée en vigueur de droits de douane supplémentaires par les autorités américaines, conjuguée à une dégringolade des prix mondiaux, fragilise considérablement les recettes d’exportation, malgré une hausse notable des volumes vendus à l’international.
Une mesure tarifaire punitive entrée en vigueur en avril 2025
Le 2 avril 2025, les États-Unis ont appliqué un droit de douane de 28 % sur les importations d’huile d’olive tunisienne , dans le cadre d’un élargissement de leur politique commerciale protectionniste. Cette décision, motivée selon Washington par une volonté de rééquilibrer les échanges agricoles, a immédiatement impacté la compétitivité du produit tunisien. L’huile d’olive représentait à elle seule 59 % des exportations tunisiennes vers les États-Unis en 2024 selon ministère de l’Agriculture. lire aussi Surtaxe de 28% : l’huile d’olive et les dattes sont les plus touchés
Des volumes en forte hausse… mais des recettes en chute libre
Selon les dernières statistiques publiées le 22 juin 2025 par l’Observatoire national de l’agriculture (ONAGRI), la Tunisie a exporté 207 300 tonnes d’huile d’olive entre novembre 2024 et fin mai 2025, soit une progression de 39,4 % par rapport à la même période de la campagne précédente. Cette dynamique aurait pu annoncer une saison exceptionnelle, mais la réalité est tout autre : les recettes d’exportation ont chuté de 29,3 %, s’élevant à 2 801,2 millions de dinars tunisiens (MDT). Ce paradoxe s’explique par une baisse brutale du prix moyen à l’exportation, passé de 26,65 D/kg à 13,51 D/kg, soit une réduction de 49,3 % en un an. Les opérateurs évoquent une saturation des marchés, une concurrence accrue de pays tiers, et les conséquences directes des droits de douane américains.
Les États-Unis, un partenaire en repli
En mai 2025, les États-Unis ont représenté 34,3 % des quantités d’huile d’olive tunisienne exportées, d’après l’ONAGRI. Mais les effets tarifaires commencent à se faire sentir : plusieurs acheteurs américains ont suspendu leurs commandes, invoquant des coûts d’importation devenus trop élevés. En 2024, la Tunisie avait exporté 58 234 tonnes vers les États-Unis, pour une valeur de près de 480 millions de dollars , ce qui plaçait ce pays au troisième rang des clients de l’huile tunisienne. Cette chute de régime sur le marché nord-américain oblige désormais les exportateurs tunisiens à repenser leur stratégie.
Effets collatéraux sur les marchés européens
L’Italie et l’Espagne, qui reconditionnent une part importante de l’huile d’olive tunisienne avant de la réexporter, notamment vers les États-Unis, ont réduit leurs achats en raison de la baisse de leurs débouchés. Cette contraction affecte plus globalement le réseau commercial tunisien, d’autant que ces deux pays représentaient à eux seuls plus de la moitié des exportations tunisiennes d’huile d’olive en 2024 (près de 112 000 tonnes).
Huile d’olive biologique : une niche elle aussi fragilisée
L’huile biologique, qui a longtemps constitué un segment porteur, n’échappe pas à la tendance. Toujours selon l’ONAGRI, 40 700 tonnes d’huile d’olive biologique ont été exportées entre novembre 2024 et fin mai 2025, générant 553,4 MDT, avec un prix moyen de 13,61 D/kg. Ces chiffres traduisent une perte de valeur préoccupante, même sur les marchés à haute exigence comme l’Allemagne, les États-Unis ou la Suède.
Une filière à forte valeur ajoutée sous tension
La filière oléicole mobilise environ 309 000 agriculteurs à travers tout le territoire. Elle couvre 1,8 million d’hectares d’oliviers et contribue, selon le ministère de l’Agriculture, à plus de 40 % des exportations agricoles tunisiennes. La plupart des expéditions se font en vrac, ce qui limite la valeur ajoutée locale. En 2025, seulement 6,3 % des exportations ont concerné de l’huile conditionnée. La crise actuelle remet en question ce modèle axé sur le vrac, en soulignant la nécessité de transformation locale, de certifications valorisées (AOP, bio, etc.) et de montée en gamme.
Quelles perspectives à court terme ?
Un recours a été introduit par la Tunisie devant la Cour internationale du commerce. Une première décision de suspension des taxes rendue le 28 mai 2025 a été bloquée en appel. Le verdict final est attendu pour le 31 juillet 2025. En attendant, les professionnels du secteur appellent à explorer de nouveaux marchés (Afrique de l’Ouest, Asie, Amérique du Sud) et à intensifier la communication sur la qualité intrinsèque de l’huile tunisienne.