En Tunisie, la culture de la pomme de terre occupe une place stratégique dans le système agricole national. Pourtant, le pays dépend encore massivement des importations de semences certifiées, principalement en provenance des Pays-Bas et de la France. Selon les données de l’Union Tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche (UTAP), entre 80 % et 90 % des semences utilisées chaque année sont importées. Cette dépendance expose le pays à des fluctuations de prix, à des retards logistiques et à des risques phytosanitaires, compromettant ainsi la souveraineté alimentaire.
Un appel à l’action : le tournant du 24 juin 2025
Le 24 juin 2025, lors d’une journée portes ouvertes organisée sous le thème « Les variétés de pomme de terre les plus résilientes au changement climatique », Moez Ben Zaghdane, président de l’UTAP, a lancé un appel fort pour l’activation d’un plan national de production de semences locales. Cette initiative vise à réduire la dépendance aux importations et à renforcer la sécurité alimentaire du pays. Selon lui, les conditions agroclimatiques tunisiennes sont désormais favorables à la production de pommes de terre sur cinq saisons, grâce aux efforts de recherche, d’encadrement technique et d’accompagnement des agriculteurs. Il a notamment souligné l’adaptation réussie de la variété néerlandaise « La Spunta » aux sols et au climat locaux, tout en insistant sur la nécessité d’intensifier la multiplication locale de ses semences pour éviter les maladies qui ont affecté sa production ces dernières années.
Une diversité variétale en expérimentation
Le Centre Technique de la Pomme de Terre, dirigé par Rachid Khalifa, a annoncé que 43 variétés de pommes de terre ont été expérimentées depuis le début de l’année 2025. Parmi elles, 29 variétés néerlandaises, 11 françaises, 2 allemandes et 1 variété tunisienne ont été testées sur différentes zones agroécologiques du pays. Cette diversité vise à identifier les variétés les plus résilientes face aux changements climatiques et les plus rentables pour les agriculteurs. Les essais ont été menés du nord au sud de la Tunisie, notamment dans les régions de Béja, Jendouba, Kairouan, Sidi Bouzid et Gabès, où les conditions pédoclimatiques varient fortement. L’objectif est de sélectionner les variétés les mieux adaptées à chaque zone, afin d’optimiser les rendements et de sécuriser la production.
Une production nationale à renforcer
Actuellement, la Tunisie produit en moyenne 350 000 tonnes de pommes de terre par an, sur une superficie estimée à 25 000 hectares répartis sur les cinq saisons de culture. Toutefois, cette production reste vulnérable aux aléas climatiques et à la qualité des semences importées. Le développement d’un système national de production de semences certifiées permettrait non seulement de stabiliser les rendements, mais aussi de réduire les coûts de production pour les agriculteurs. Le plan national envisagé inclurait la création de stations de prébase et de multiplication, la formation des agriculteurs multiplicateurs, ainsi que la mise en place d’un système de certification rigoureux. Il s’agirait également de renforcer la recherche appliquée sur les variétés locales et d’encourager les partenariats public-privé pour structurer la filière.
Enjeux stratégiques et perspectives
L’autosuffisance en semences de pommes de terre s’inscrit dans une vision plus large de souveraineté alimentaire et de résilience face aux crises. Dans un contexte marqué par les perturbations des chaînes d’approvisionnement mondiales, la Tunisie ne peut plus se permettre de dépendre quasi exclusivement de l’étranger pour un intrant aussi stratégique. La réussite de ce plan dépendra de la volonté politique, de l’engagement des acteurs de la filière et de la mobilisation des ressources nécessaires. Si elle est bien menée, cette transition pourrait faire de la Tunisie un modèle régional en matière de production durable de semences, tout en valorisant son potentiel agricole.