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jeudi 25 avril 2024
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Photo : TAP

Pour Leith Ben Becher l’état du secteur agricole tunisien menace la souveraineté alimentaire

En Tunisie, la situation du secteur agricole menace sérieusement la souveraineté alimentaire, selon le président du SYNAGRI (Interview).

La situation du secteur agricole en Tunisie présage, à l’heure de la dégradation du revenu des agriculteurs et la diminution de la marge bénéficiaire, la faillite de plus d’une filière, notamment celle de l’élevage, et menace sérieusement la capacité de la Tunisie à assurer sa souveraineté alimentaire, a estimé le président du Syndicat des Agriculteurs de Tunisie (SYNAGRI), Leith Ben Becher.

Pour lui, il n’y aura pas une vraie relance du développement, ni un équilibre régional totalement satisfaisant, sans accorder la priorité absolue à l’agriculture, ce qui demande une vision participative intégrale et une reconnaissance du rôle des agriculteurs et leur importance aux plans économique et social. Il s’agit, aussi, d’après lui, de la nécessité de développer les législations en la matière.

Dans une interview accordée à l’agence Tunis-Afrique-Presse (TAP), Leih Ben Becher, a fait observer que la situation de l’agriculture en Tunisie est « très difficile, vu les problèmes structurels encore non résolus ».

Il a souligné que le secteur a besoin d’une politique agricole et alimentaire cohérente à l’horizon 2030, loin des solutions de rafistolage et ce, pour pouvoir contribuer à l’amélioration de la situation des agriculteurs, au développement des zones rurales et à l’assurance de la sécurité alimentaire durable. Décryptage

Comment peut-on dépasser la crise rencontrée, aujourd’hui, dans le secteur agricole ?
Leith Ben Becher : En dépit des succès réalisés depuis l’indépendance dans le domaine agricole soit sur le plan de l’infrastructure de base, de la mobilisation des ressources hydrauliques ou au niveau de l’amélioration du rendement dans plusieurs filières agricoles, la Tunisie n’a pas réussi à avoir une production moyenne stable, surtout au niveau des cultures en sec, dont les grandes cultures, l’oléiculture et autres, qui représentent les piliers du secteur agricole et qui couvrent ¾ des superficies cultivées. Ainsi, l’autosuffisance dans les filières laitières, bovine et ovine demeure vulnérable, car, elles reposent pleinement sur l’importation de l’alimentation animale, notamment le maïs et le soja. Face à une telle situation, le seul grand perdant est l’agriculteur qui souffre d’une année à l’autre de l’augmentation des coûts de production et de la baisse de la productivité, aggravé par l’endettement, et dans un contexte de quasi-absence d’aides ou de subventions, sauf certaines solutions conjoncturelles qui ne répondent pas à ses attentes.

Nous sommes, aujourd’hui, appelés à développer la production de manière à répondre à la demande intérieure et à garantir un revenu suffisant et stable à l’agriculteur, d’un côté, et d’assurer une bonne gestion des ressources naturelles afin de garantir la durabilité des filières productives, de l’autre côté. C’est une adéquation difficile, surtout avec les effets du changement climatique.

A mon avis, il faudrait revoir les systèmes agricoles, et leurs méthodes de gestion, afin qu’ils soient plus efficaces et ce, à partir de la recherche scientifique et l’édition de gènes jusqu’aux circuits de distribution, en passant par la formation professionnelle et l’appui des initiatives des jeunes à travers les groupements interprofessionnels regroupant les différents acteurs, étant donné qu’ils représentent la seule solution pour améliorer la production agricole et la voie idéale pour prévenir les crises dans les filières, telles que celle du lait, des tomates et autres. Aujourd’hui, on n’a pas le choix. Il faut donner libre cours aux compétences nationales à travers un politique agricole participative réunissant tous les acteurs, surtout que la Tunisie s’apprête à des négociations décisives avec l’Union Européenne dans ce domaine, sachant que l’agriculteur européen obtient l’équivalent de 10 mille dinars par an sous forme de subvention, outre l’encadrement intégral dont il bénéficie lors des crises et des catastrophes.

Quels sont les enjeux qui se posent actuellement dans le secteur agricole ?
Leith Ben Becher : Nous sommes, aujourd’hui, sur un triptyque d’enjeux : le premier c’est l’enjeu économique. L’agriculture contribue à hauteur de 10% à la richesse nationale et emploie pas moins de 18% de la main-d’œuvre ; toutefois elle ne reçoit que 10% des investissements publics et seuls 7% des agriculteurs bénéficient des financements bancaires. Côté enjeu social, le métier d’agriculteur n’est pas valorisé comme il le devrait. Pourtant, leur rôle est prépondérant dans la production de produits alimentaires, l’emploi et l’équilibre régional.

L’agriculteur ne devrait plus être marginalisé, surtout que le pacte social n’accorde pas aux agriculteurs la place qu’ils méritent ? En plus, le Code de l’investissement révèle que la tendance libérale domine cette activité, alors que la spécificité de l’agriculture tunisienne réside dans le fait qu’elle est surtout « une agriculture familial ».

Le troisième enjeu est un enjeu purement professionnel. Le métier de l’agriculteur n’est pas encore défini légalement, ce qui contribue à la marginalisation des agriculteurs. Il faudrait, aussi, inciter l’Etat à mettre terme au monopole de la délivrance de la carte d’agriculteur à une quelconque organisation professionnelle.

La dernière augmentation des prix du blé et de l’orge encourage-t-elle la réalisation de la sécurité alimentaire, dans un contexte mondial caractérisé par une guerre entre la Russie et l’Ukraine ?
Leith Ben Becher : Pour être objectif, la dernière augmentation des prix du blé et de l’orge ne résulte pas seulement de l’invasion de la Russie à l’Ukraine, mais les prix ont commencé à grimper depuis la fin de l’année 2021. La guerre entre la Russie et l’Ukraine est venue accentuer la crise, surtout que la Tunisie importe du blé tendre de l’Ukraine.

Le coût de la production de céréales devient une lourde charge pour l’agriculteur dans un contexte marqué par la diminution de la marge de bénéfice, suite aux augmentations dans les intrants directs dans la chaine de production, à l’instar des engrais et des carburants, outre la hausse des coûts de transport, ce qui a poussé les agriculteurs à réclamer la révision des prix du blé surtout le blé tende, matière la plus importée et consommée. Par conséquent, un besoin impérieux se fait sentir sur la réalisation de la sécurité alimentaire pour permettre de faire face aux effets des changements mondiaux sur ce plan.

Jusqu’où la dernière augmentation des prix de l’alimentation animale a-t-elle contribué à alourdir la charge sur l’Etat et à amplifier l’hégémonie des sociétés importatrices ?
Leith Ben Becher : Une augmentation des prix de l’alimentation animale devait avoir lieu en février 2022, mais son annonce a été reportée jusqu’à la dernière période, ce qui devrait entrainer aussi une augmentation des prix de vente des volailles, des œufs et du lait et ses dérivés.

Les agriculteurs, dans différentes régions du pays, ont protesté contre les augmentations sans précédent des prix de l’alimentation animale qui menace directement la filière de production animalière, la souveraineté alimentaire et la paix sociale.

Les mouvements des agriculteurs ont fait pression sur l’Etat qui a renoncé à cette décision et s’est engagé à revoir les prix de certains produits agricoles en vue de les augmenter de manière à répondre au coût de production.

Des observateurs pensent que le secteur agricole dépend de certains lobbies, comment faire face à ce problème ?
Leith Ben Becher : Les lobbies de la corruption ne sont pas uniquement présents dans le secteur agricole. Ils touchent tous les secteurs. Et là, l’Etat doit jouer un rôle de régulateur à travers la prise de décisions audacieuses, surtout en période de crises où les lobbies exercent davantage leur hégémonie.

Il faudrait réviser les systèmes de production qui connaissent beaucoup de dépassements et d’irrégularités, à la suite de la mauvaise gestion du système de fixation des prix et le monopole de l’Etat d’une matière bien déterminée, notamment les céréales en vue d’assurer l’approvisionnement des marchés et la sécurité alimentaire.

Le SYNAGRI a-t-il présenté au gouvernement actuel des propositions sérieuses pour promouvoir le secteur agricole ?
Leith Ben Becher : Le SYNAGRI n’a épargné aucun effort au cours de la dernière décennie pour demander aux gouvernements successifs et aux différents ministres de l’Agriculture d’accorder à l’agriculture et aux agriculteurs une priorité absolue dans les politiques générales de l’Etat.

Au début de l’année 2015, un dialogue national a été initié et a duré plus de six mois, sans parvenir à des résultats concrets. Cet échec était attendu puisque les seules parties qui ont participé au dialogue sont le ministère de l’Agriculture, des Ressources hydrauliques et de la Pêche et l’Union tunisienne de l’Agriculture et de la Pêche. A eux seuls, ils ont accaparé le débat sur des dossiers préalablement préparés. Aucun fait concret n’a été réalisé depuis ; au contraire, nous observons aujourd’hui une régression de la plupart des filières agricoles et une dégradation de la situation des agriculteurs.

Les politiques et les autorités de tutelle doivent se faire à l’idée que l’agriculture est désormais une question de société et ne concerne pas uniquement les professionnels du secteur. Les enjeux aujourd’hui posés nécessitent une action participative des décideurs et des différents intervenants dans ce secteur vital.

Avec TAP, Interview réalisée, en arabe, par Wided Medfai et traduite, en français, par Noureddine Bokri
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