« L’adaptation aux défis climatiques passe avant tout par une approche technique réfléchie et une vigilance constante. Il est essentiel d’anticiper pour protéger nos vergers. »
Monsieur Hamza HAJLAOUI, conseiller agricole privé engagé au service des agriculteurs du nord ouest et du centre ouest de la Tunisie, nous dévoile les principaux défis qu’il a rencontrés sur le terrain au cours de la saison dernière. Entre problématiques liées aux ravageurs, au manque de froid pour les arbres fruitiers et aux pratiques d’installation de vergers, il partage des réponses techniques pertinentes pour accompagner les producteurs face à ces enjeux. Son expérience nous offre un éclairage précieux sur les solutions nécessaires pour garantir la pérennité de l’arboriculture tunisienne.
Les acariens, l’ennemi invisible
Quels sont les impacts des acariens sur les cultures notamment l’olivier et pourquoi cette menace est-elle croissante ?
M. HAJLAOUI: Les acariens, ces ravageurs presque-microscopiques, causent effectivement des dommages considérables aux arbres fruitiers en Tunisie. Leur impact est particulièrement prononcé dans les régions du sud, notamment sur les palmeraies, mais ils touchent aussi l’olivier partout en Tunisie. Auparavant, les agriculteurs tunisiens ne connaissaient guère les acariens sur les oliviers, leurs premiers effets se manifestent par des altérations visibles sur les feuilles, avec une dégradation et chute progressive si aucune intervention n’est menée. Historiquement, les variétés locales d’oliviers, comme le Chemlali, étaient moins affectées. Cependant, l’introduction de variétés étrangères comme Arbosana, Arbequina et Koroneiki souvent implantées dans des systèmes de culture intensifs, demandent davantage de traitements et d’interventions techniques pour garantir une croissance et un développement végétative plus accéléré ce qui a favorisé la propagation de ces ravageurs . Avec leur présence accrue, les acariens ont également évolué pour attaquer les variétés locales, une menace particulièrement marquée dans les zones arides du centre et du Sahel, où les interventions agronomiques sont limitées à la taille des arbres et l’application non rationnelle de certains engrais azotés ou l’apport non étudié de certain types fumier. Malheureusement, certains agriculteurs pourraient ne pas détecter les attaques à temps, ce qui peut entraîner des pertes significatives. Il est donc essentiel de rester vigilant. Les acariens prospèrent dans des températures élevées, ce qui accélère leur cycle de reproduction et leur permet de multiplier les générations. Toutefois, leurs attaques ne se limitent pas aux périodes chaudes; elles peuvent également survenir en automne, au début de l’hiver et au printemps.
Quelles stratégies peuvent être mises en place pour limiter l’impact des acariens ?
M. HAJLAOUI: La vigilance constante est une nécessité incontournable dans la lutte contre les acariens, car une détection tardive de leurs attaques peut entraîner des pertes considérables pour les agriculteurs. Une gestion proactive et réfléchie s’impose. Il est conseillé aux agriculteurs d’effectuer des inspections rigoureuses avant la floraison pour évaluer si le seuil d’intervention est atteint, puis de poursuivre une surveillance attentive après la nouaison. Une précaution essentielle consiste à éviter toute intervention pendant la floraison afin de ne pas compromettre le processus vital de pollinisation. Au cours de la dernière saison agricole, nous avons eu une prolifération inhabituelle des acariens en automne, aggravée par des facteurs environnementaux défavorables : des températures élevées, un faible niveau de précipitations, et une forte activité éolienne. Ces conditions ont favorisé la dispersion des acariens, amplifiée par leur capacité à se déplacer avec la poussière et le vent. Cette situation a conduit à une baisse significative des rendements, mettant en lumière l’urgence d’adopter des mesures préventives robustes. En prévention, il est recommandé de procéder à une taille adéquate pour assurer une bonne aération de l’arbre, éviter une fertilisation excessive et maintenir un équilibre de la végétation. Ces pratiques renforcent l’arbre et atténuent les dégâts même en cas d’attaque. En outre le traitement d’hiver en appliquant les huiles minérales sur les olives permet de tuer une grande partie des acariens. Lors des premières manifestations d’attaques, une astuce économique consiste à pulvériser un simple jet d’eau sur les arbres, ce qui permet d’affaiblir les acariens tout en limitant les dommages, cela est cependant applicable pour les touts petits vergers ou les arbres des jardins. Enfin, bien que les acaricides restent efficaces, leur coût devient de plus en plus prohibitif pour les exploitants agricoles, rendant leur utilisation souvent inaccessible. Cette contrainte financière met en évidence l’importance cruciale de stratégies préventives et d’une gestion minutieuse pour protéger les vergers tout en limitant les impacts économiques.
Hivers trop doux – Le froid, allié essentiel des arbres fruitiers
Pourquoi le manque d’heures de froid pose-t-il un problème pour les arbres fruitiers en Tunisie ?
M. HAJLAOUI: La question du manque de froid hivernal devient un défi critique pour les arboriculteurs en Tunisie, touchant particulièrement les arbres fruitiers qui nécessitent un cumul spécifique d’heures de froid pour permettre un repos végétative et avoir un impact positive sur la floraison et la production. Tous les arbres fruitiers ont des besoins distincts en froid, définis comme le nombre d’heures où la température est comprise entre 0 °C et 7,2 °C, toute heure en dehors de cette plage étant exclue des calculs. Certaines espèces sont particulièrement exigeantes. Par exemple, certaines variétés de pommiers nécessitent entre 800 et 900 heures de froid, tandis que, l’abricotier, le pêcher et l’amandier requièrent environ 400 à 600 heures. À l’opposé, les besoins de l’olivier sont relativement faibles, se situant entre 200 et 400 heures. Pourtant, même ce niveau modéré devient difficile à atteindre sous les hivers de plus en plus doux. La saison dernière illustre bien ce problème : les estimations indiquent que la Tunisie n’a cumulé que très peux d’heures de froid à l’intérieur du pays et presque nul dans les zones côtières. Ce déficit a des répercussions directes sur la productivité des arbres. Lorsque les besoins en froid ne sont pas atteints, les arbres peinent à sortir de leur dormance, compromettant ainsi leur floraison et, par extension, leur production.
Quelles solutions techniques peuvent être envisagées pour pallier ce déficit en froid ?
M. HAJLAOUI: Face à ce manque, les agriculteurs se tournent vers des solutions alternatives. L’application de biostimulants et d’hormones comme le Dormex, réalisée environ un mois et demi avant le débourrement, permet de compenser partiellement ce déficit. Ce traitement foliaire, effectué lorsque l’arbre est en repos hivernal, stimule la sortie de dormance. Toutefois, ce recours présente des limites. D’une part, il nécessite un itinéraire technique rigoureux comprenant une taille adaptée, une fertilisation équilibrée et une induction contrôlée de la dormance, parfois obtenue par la coupure temporaire de l’irrigation mais aussi l’application foliaire de certains produits pour l’accumulation de réserve et pour induire la chute des feuilles. D’autre part, l’application du Dormex pourra perturber la croissance naturelle de l’arbre à long terme. Dans des régions comme Regueb, réputées pour leur potentiel arboricole, ces traitements deviennent une routine annuelle pour les cultivateurs en absence de froid hivernal. Cependant, face au réchauffement climatique et à l’adoucissement des hivers, il devient impératif d’explorer des stratégies d’adaptation durable. L’une des pistes consiste à planter des espèces et des variétés adaptées aux conditions de chaque régions selon les tendances climatiques futures. Introduire des porte-greffes mieux adaptés aux nouvelles conditions climatiques, en particulier pour les cultures exigeantes comme le pommier. Par ailleurs, selon les scénarios du réchauffement climatique, la cartographie des cultures devra évoluer, conduisant à un déplacement potentiel des zones de production vers des régions plus froides comme Kasserine, qui pourraient offrir des conditions plus favorables. En conclusion, le manque d’heures de froid n’est pas seulement un défi immédiat mais une problématique structurelle pour l’avenir de l’agriculture arboricole en Tunisie. Seule une combinaison de mesures techniques et de stratégies d’adaptation permettra de préserver la productivité des vergers face à ce défi climatique croissant.
Vergers improvisés (aléatoires)– Une planification absente, un avenir compromis
Quels sont, selon vous, les principaux défis liés à l’installation de vergers en Tunisie, et quelles solutions techniques et organisationnelles pourraient être mises en place pour garantir leur pérennité ?
M. HAJLAOUI: L’installation de vergers en Tunisie, sans encadrement technique ni vulgarisation adaptée, constitue une source importante de difficultés pour les agriculteurs. L’absence de planification entraîne souvent des choix hasardeux en termes de variétés, densité des plantations, et systèmes d’irrigation, ce qui peut compromettre la pérennité des exploitations. Un exemple flagrant réside dans les systèmes d’irrigation non adaptés. L’absence de planification technique mène fréquemment à l’installation de systèmes inefficaces, qui gaspillent les ressources en eau ou ne répondent pas aux besoins spécifiques des arbres. Dans un pays confronté à des défis hydriques croissants, cette approche aléatoire constitue une menace directe pour la viabilité économique et écologique des vergers.
Face à défit de manque d’encadrement et de vulgarisation couplé aux conditions climatiques difficiles, l’encouragement au regroupement des agriculteurs dans des organisations structurées devient essentielle. Ces organisations pourraient jouer un rôle clé en fournissant un appui technique systématique aux agriculteurs à travers des formations de groupe ciblées, un encadrement sur mesure et un accompagnement en continue. En créant un cadre collectif, les organisations professionnelles permettent non seulement d’apporter un soutien technique, mais aussi de mutualiser les ressources et les expertises. Cela facilite la transition vers une arboriculture plus résiliente, tout en limitant les pertes liées aux pratiques non étudiées. Le développement de ces structures n’est pas seulement une solution technique : c’est une démarche stratégique pour renforcer l’ensemble du secteur agricole tunisien, en connectant les exploitants à un réseau d’expertise et en garantissant une meilleure utilisation des ressources disponibles.
Un mot pour conclure :
Agir aujourd’hui, c’est garantir la pérennité de l’arboriculture tunisienne pour les générations futures. Face aux défis climatiques et aux évolutions du secteur, seule une stratégie proactive et une adaptation continue permettront de préserver la productivité des vergers. En conjuguant innovation, expertise technique et engagement collectif, nous pouvons construire un avenir agricole durable, où chaque exploitant dispose des outils nécessaires pour relever ces défis avec confiance et résilience
par AL