Le 16 juin 2025, lors de l’ouverture du Forum et Salon de l’eau, de l’irrigation et de l’énergie (Irrimed Expo 2025) au Palais des expositions du Kram, le secrétaire d’État chargé des ressources hydriques, Hamadi El Habib, a rappelé un chiffre clé : l’agriculture tunisienne consomme 75 % des ressources en eau mobilisées dans le pays. Ce constat, réitéré à plusieurs reprises dans les rapports du ministère de l’Agriculture et de l’Office national de l’eau, souligne la pression exercée par le secteur agricole sur une ressource de plus en plus rare.
Cette donnée n’est pas nouvelle. Déjà en 2021, une étude publiée par L’Économiste Maghrébin indiquait que 2 722 millions de mètres cubes (Mm³) d’eau étaient prélevés annuellement pour l’agriculture, contre 817 Mm³ pour l’eau potable et 60,6 Mm³ pour l’industrie. Ces proportions sont restées relativement stables, malgré les efforts de rationalisation.
Une pression hydrique exacerbée par le climat
La Tunisie est classée parmi les pays en situation de stress hydrique structurel, avec une disponibilité annuelle moyenne inférieure à 450 m³ par habitant, bien en dessous du seuil de pénurie fixé à 1 000 m³. En 2025, les barrages tunisiens affichaient un taux de remplissage global de 55 %, en hausse de 200 millions de m³ par rapport à l’année précédente, selon les chiffres communiqués au Forum. Cependant, cette amélioration ponctuelle ne masque pas les effets du changement climatique : baisse des précipitations, évaporation accrue, et salinisation des nappes phréatiques. Ces phénomènes menacent directement la durabilité de l’agriculture irriguée, notamment dans les régions du Sahel, du Centre et du Sud, où les cultures maraîchères et arboricoles dépendent fortement de l’irrigation.
Des zones agricoles sous forte tension
Les gouvernorats de Nabeul, Kairouan, Gabès, Sfax et Médenine figurent parmi les plus gros consommateurs d’eau agricole. À titre d’exemple, la région de Nabeul, spécialisée dans les cultures maraîchères et les agrumes, mobilise à elle seule plus de 100 millions de m³ d’eau par an pour l’irrigation. Dans le Sud, les oasis de Gabès et de Tozeur dépendent quasi exclusivement des nappes profondes, dont le renouvellement est lent, voire inexistant. Le potentiel d’irrigation national est estimé à 560 000 hectares, dont 410 000 hectares en maîtrise totale ou partielle, et 150 000 hectares en irrigation complémentaire ou par crue. En 2025, environ 450 000 hectares sont effectivement irrigués, représentant près de 10 % de la surface agricole utile, mais concentrant les trois quarts de la consommation en eau.
Vers une transition hydrique agricole
Face à la gravité croissante de la crise hydrique, les autorités tunisiennes ont amorcé une série de réformes structurelles visant à mieux gérer l’usage de l’eau dans le secteur agricole. Parmi les actions déjà engagées, figure l’introduction de compteurs intelligents permettant de suivre avec précision la consommation hydrique des exploitations, une technologie actuellement en phase de test sur l’île de Djerba. En parallèle, le gouvernement a lancé la construction et l’équipement de centrales photovoltaïques, notamment à Tozeur et à Sfax, dans le but d’alimenter les stations de pompage tout en réduisant la dépendance énergétique. L’exploitation des eaux non conventionnelles connaît également une montée en puissance, avec trois stations de dessalement déjà opérationnelles à Djerba, Sfax et Sousse, et deux autres en cours de développement à Mahdia et Zarzis. Sur le plan agronomique, plusieurs programmes encouragent la reconversion vers des cultures moins exigeantes en eau, telles que l’olivier, le figuier ou l’amandier, notamment dans les zones arides. Ces efforts s’inscrivent dans le cadre du Plan National d’Adaptation au Changement Climatique (PNACC), qui prévoit aussi une réforme des politiques de subvention à l’irrigation afin de privilégier les pratiques économes et durables. Cette approche intégrée traduit une volonté claire d’ancrer la transition hydrique au cœur du modèle agricole tunisien.
Une équation économique et sociale complexe
Réduire la consommation d’eau dans l’agriculture sans compromettre la production alimentaire ni les revenus des agriculteurs constitue un défi majeur. Le secteur agricole emploie environ 16 % de la population active et contribue à 12 % du PIB, tout en assurant une part importante de l’approvisionnement national en fruits, légumes et céréales. Toute réforme doit donc concilier efficacité hydrique, rentabilité économique et justice sociale. Cela passe par la formation des agriculteurs, l’accès au financement pour moderniser les systèmes d’irrigation, et la valorisation des produits issus de l’agriculture durable.