L’élevage ovin en Tunisie traverse une période particulièrement délicate, marquée par une flambée des prix et des difficultés croissantes pour les producteurs. Alors que la demande pour la viande ovine reste soutenue, les éleveurs font face à des défis majeurs qui compromettent la rentabilité de leurs activités. Entre des aléas climatiques de plus en plus prononcés, une hausse constante des coûts de production et une structuration insuffisante du marché, le secteur peine à maintenir son équilibre. À travers cette analyse approfondie, nous explorerons les causes de cette crise, ses impacts économiques et sociales, ainsi que les solutions envisageables pour stabiliser l’élevage ovin et le rendre plus résilient.
Une hausse des prix inquiétante pour consommateurs et producteurs
Depuis début 2025, le prix du kilogramme de viande ovine souligne une augmentation de 8 % par rapport à l’année précédente. Cette hausse continue inquiète autant les consommateurs que les producteurs. Pour les familles tunisiennes, la viande ovine constitue un aliment de base, notamment lors des fêtes religieuses et des grandes occasions. Cependant, avec cette flambée des prix, elle devient de plus en plus inaccessible pour une grande partie de la population. Du côté des producteurs, bien que les prix soient en augmentation, leur rentabilité ne suit pas nécessairement cette tendance. En effet, les coûts de production ont eux aussi explosé, ce qui limite les marges des éleveurs. Cette situation s’explique par plusieurs facteurs, dont la raréfaction des pâturages naturels, l’augmentation du coût des intrants agricoles, la recrudescence des maladies animales, ainsi que les problèmes de structuration et de valorisation du marché.
La raréfaction des pâturages : un problème majeur
Les conditions climatiques jouent un rôle central dans la crise que traverse l’élevage ovin tunisien. Les précipitations enregistrées en 2024 ont été inférieures de 20 % aux moyennes saisonnières, entraînant une baisse significative des ressources fourragères naturelles disponibles dans les principales zones d’élevage. Les gouvernorats du Nord-Ouest (Béja, Jendouba, Le Kef, Siliana) et du Centre-Ouest (Kasserine, Sidi Bouzid, Gafsa) ont particulièrement souffert de cette sécheresse prolongée, obligeant les éleveurs à acheter des aliments pour bétail à un prix bien plus élevé que d’habitude. Le recours accru aux aliments industriels a généré une dépendance aux importations, augmentant ainsi les coûts de production. En moyenne, les dépenses liées à l’alimentation du bétail représentent 60 % du coût total de l’élevage, un fardeau qui pèse lourdement sur les petits producteurs, souvent incapables de supporter cette charge financière.
L’augmentation du coût des intrants : un poids économique lourd
L’élevage ovin dépend fortement des céréales et des compléments alimentaires pour garantir une croissance optimale du bétail et une production rentable. Cependant, les prix des céréales ont connu une flambée en 2024 et 2025 en raison des perturbations du marché mondial et des conditions climatiques adverses. Les importations de céréales ont été impactées par la volatilité des prix sur les marchés internationaux, avec une augmentation moyenne de 15 % des coûts des aliments pour bétail. Cette hausse se répercute directement sur les éleveurs, qui sont contraints d’ajuster leurs stratégies de production pour tenter de limiter les coûts. Mais face à cette situation, de nombreux petits producteurs réduisent la taille de leur cheptel ou abandonnent progressivement l’élevage, ce qui accentue la baisse de l’offre en viande ovine et pousse les prix à la hausse.
La menace des maladies animales : une gestion sanitaire à améliorer
En 2024, plusieurs foyers de fièvre aphteuse ont été détectés dans les gouvernorats de Kairouan, Sidi Bouzid et Siliana, affectant près de 12 000 têtes de bétail. Cette maladie, hautement contagieuse, entraîne des pertes importantes pour les éleveurs, tant en termes de mortalité qu’en baisse de productivité des animaux atteints. Les campagnes de vaccination ont été renforcées par le ministère de l’Agriculture, mais le coût du traitement reste élevé, ajoutant une charge supplémentaire aux producteurs. En outre, le manque de suivi sanitaire et la faible sensibilisation des éleveurs aux bonnes pratiques de prévention contribuent à la propagation des maladies, fragilisant encore plus le secteur.
Un marché insuffisamment structuré : entre déséquilibres régionaux et faible valorisation
L’un des problèmes récurrents de l’élevage ovin en Tunisie réside dans la fragmentation du marché et la faible organisation de la filière. La chaîne de commercialisation reste mal structurée, avec des disparités significatives entre les différentes régions du pays. Les circuits de distribution sont particulièrement instables, ce qui crée une forte concentration des ventes dans les grandes villes au détriment des zones rurales productrices. De plus, la valorisation des produits ovins tunisiens reste faible par rapport aux standards internationaux, ce qui limite les opportunités d’exportation et la compétitivité sur les marchés régionaux et internationaux.
Des solutions possibles pour stabiliser le secteur
Face à ces défis, plusieurs stratégies pourraient être mises en place pour améliorer la résilience du secteur et garantir un prix plus accessible pour les consommateurs. Tout d’abord, l’optimisation des pratiques d’alimentation animale permettrait de limiter la dépendance aux importations et de réduire les coûts. L’utilisation de ressources fourragères locales adaptées aux conditions climatiques tunisiennes pourrait offrir une alternative plus durable aux aliments industriels. Ensuite, le renforcement de la surveillance sanitaire serait essentiel pour prévenir la propagation des maladies et limiter les pertes liées aux épidémies. Des campagnes de vaccination plus accessibles et une meilleure sensibilisation des éleveurs aux pratiques de gestion sanitaire amélioreraient significativement la situation. Par ailleurs, une meilleure organisation du marché et des circuits de distribution pourrait favoriser une transparence accrue des prix et une valorisation plus équitable des produits ovins. Une approche plus structurée permettrait de réduire les disparités régionales et d’assurer une rentabilité plus stable pour les producteurs. Enfin, l’accès facilité aux ressources essentielles telles que l’eau, l’alimentation et les soins vétérinaires contribuerait à alléger les contraintes économiques des éleveurs et à améliorer la gestion des troupeaux.
Conclusion : une filière à transformer pour un avenir plus durable
L’élevage ovin tunisien traverse une période critique où l’augmentation des coûts et les défis structurels mettent en péril la pérennité du secteur. La flambée des prix de la viande reflète un système sous pression, nécessitant des ajustements urgents pour garantir un équilibre entre production, rentabilité et accessibilité. Avec des solutions adaptées aux réalités locales et une gestion plus efficace des ressources, il est possible de stabiliser le marché et d’assurer un avenir durable pour les éleveurs et les consommateurs. Une approche intégrée, combinant amélioration des pratiques d’élevage, gestion optimisée des ressources et renforcement de la structuration du marché, permettra de garantir une filière plus résiliente face aux défis à venir.